Albertine

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Sous le pseudonyme d'Albertine, hommage à Marcel Proust, se dissimule une Joëlle passionnée de lecture depuis l'enfance. Mon appétit d'ogresse pour les mots, les histoires, les voyages à travers les pages ne s'est pas atténué avec les années. Je marche au coup de cœur, guidée par ma curiosité qui m'incite toujours à découvrir de nouveaux écrivains, à explorer de nouveaux genres. Je navigue entre romans policiers, fresques historiques, livres feel-good et essais sur l'actualité, au gré de mes humeurs et des rencontres avec certains auteurs. Participer à Dialogues Croisés, c'est partager ce bonheur de lire et avoir l'opportunité de mettre dans la lumière des « pépites » littéraires.

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25 novembre 2015

Virginia Woolf forever

Il y a quelques jours, Mister H. et moi déambulions dans la librairie Dialogues à Brest. Fin de mois oblige, nous nous étions promis d'être raisonnables et de ne rien acheter. Nos PAL respectives nous assuraient une "survie" que plusieurs semaines. Mister H. a cédé le premier à la tentation et mis la main sur un livre qui décrit la guerre de cent ans (Tous les goûts sont dans la nature...). Grand prince et surtout pour nous mettre à égalité, il me suggère de prendre moi aussi un livre, qu'il paiera sur ses deniers. UN livre ! Imaginez que vous ayez un énorme sachet de Smarties devant vous et que vous ne soyez autorisée qu'à en manger un. Je me retrouvais dans une situation semblable.

J'ai opté pour une valeur sûre : livre apprécié par Cathulu, auteur spécialiste de Jane Austen et comme personnage MA Virginia. Prise de risque proche du zéro !

La lecture de ce roman a tenu toutes ses promesse. L'histoire, mélange hybride de chasse au trésor, de romance fleur bleue et de reconstitution des derniers jours de l'auteur mythique de Mrs Dalloway, se lit avec beaucoup de plaisir. Tout débute par la visite de Jo Bellamy, jeune paysagiste américaine, aux jardins de Sissinghurst en Angleterre. Elle répond à la commande de son riche client, voir pour mieux le reproduire le "jardin blanc" que Vita Sackville-West, amie de V.Woolf, aurait créé. Elle tombe sous le charme du lieu, même si le mois d'octobre ne montre pas fleurs et arbustes en plein épanouissement. Ce voyage a pour elle beaucoup d'importance, il s'agit d'un projet colossal et enthousiasmant et surtout, en se rendant à Sissinhurt, elle se met dans les pas de son grand-père Jock, qui y a travaillé en 1941 avant de s'engager.

Le hasard faisant bien les choses, elle découvre dans un cabanon où sont rangés les outils, parmi les documents rédigés sur l'élaboration du jardin, un cahier au nom de son grand-père. A l'intérieur, des écrits qui semblent de la main de V.Wolf mais "epic fail", ils auraient été rédigés après son suicide et sont incomplets.

Commence alors la recherche de la moitié manquante de ce "manuscrit"... Jo Bellamy va être épaulé par Peter Llewellyn, un expert de chez Sotheby's en rupture de ban. Notre duo, embarqué dans la Triumph vert bouteille de Peter, visite Oxford, Cambridge, la maison de V.Woolf pour trouver la suite du mystérieux cahier. Ils ne sont pas seuls sur l'affaire. Stephanie Barron a mis sur leur chemin, l'ex-femme de Peter, une vamp intello, la jardinière en chef de Sissinhurt, une Walkyrie rustique et Marcus Symonds-Jones, le supérieur hiérarchique de Peter, aussi obséquieux qu'ambitieux.

L'intrigue est érudite, intelligente mais jamais pesante. L'auteure mêle le passé et le présent, les derniers jours tragiques de V.Woolf et les amours naissantes de Jo et Peter.

Une lecture-bonheur !

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25 novembre 2015

Mémoire d'elles, mémoire d'eau

Billie, vieille dame de quatre-vingt ans, vit en Californie, dans une petite maison au bord de l'Océan. Sa vie semble réglée comme du papier à musique entre les bains de mer, les heures de bénévolat à la bibliothèque et les coups de fil quotidien de sa soeur Gussy, résidant dans le Vermont. Elle a choisi cet endroit où le temps paraît suspendu tant les saisons sont peu marquées pour son exil volontaire. Loin de sa terre natale, loin de sa famille, loin de ses filles, elle tient à distance un passé que l'on devine douloureux.

Un soir pourtant, ce passé se rappelle à elle à travers la voix de Gussy. Cette dernière a été contactée par John Wilson, le fils d'Eva, sa voisine dans les années soixante quand elle habitait une petite ville perdue dans le Massachusetts. Il veut que Billie le retrouve à Boston, il a impérativement besoin de lui parler. Si tard dans son existence, Billie a -t-elle envie de laisser les souvenirs la submerger à nouveau ?

Elle décide de plonger, de revenir en arrière et de renouer avec les trois années les plus lumineuses mais aussi les plus dramatiques qu'elle a vécues. Eté 1962, Billie essaie de se conformer à l'idéal masculin de l'époque. C'est une parfaite petite ménagère qui met les légumes en bocaux et prépare des cookies. Elle a épousé, à l'âge de dix-neuf ans, Frankie Valentine, un homme complexé par son physique fluet, qui compense sa petite taille par une voix de stentor et une posture de macho italien. Ils ont adopté deux enfants car le corps de Billie, à son grand désespoir, ne veut pas accueillir durablement d'enfant et provoque fausse couche sur fausse couche. Son mari, ses filles, Francesca et Mouse lui permettent de donner l'image de la famille parfaite. Pourtant que d'insatisfactions, que de frustrations sous ce dehors idyllique...

La première semaine de juillet 1962, sa vie va basculer avec l'arrivée d'une nouvelle famille dans la rue, les Wilson. La première image qu'ils lui offrent est celle de Ted, un géant apparemment débonnaire, sa minuscule femme Eva, enceinte jusqu'aux yeux et leurs trois enfants. Billie va peut-être enfin avoir une amie, quelqu'un avec qui partager des recettes de cuisine, la préparation de costumes pour Halloween, les réunions de scouts des enfants...

Inexorablement, leur amitié se renforce et évolue vers un sentiment plus tendre. Ted et Frankie, deux hommes qui ont en commun le goût pour la boisson et la conviction que leur femme est leur propriété, ne sentent pas que Billie et Eva se sont trouvées et aspirent à un autre rôle que celui de gardienne de la maison, que leur corps et leur coeur ont soif de douceur et de liberté.

L'auteure nous raconte l'histoire de ces deux femmes, nées trop tôt pour un amour considéré à l'époque comme un vice. La trame, assez classique, confronte passé et présent jusqu'au moment où les deux se télescopent. J'ai beaucoup aimé la manière dont T.Greenwood parle de de l'eau. Billie est une nageuse, une athlète qui trouve la plénitude et l'apaisement dans les eaux du lac Gormlaith dans le Vermont ou dans les vagues de l'Océan Pacifique. Elle y évolue sans entrave, avec le sentiment de ne faire qu'un(e) avec l'univers.

Un roman aux détails très réalistes, qui reconstitue les années 1960 aux Etats-Unis, vu à travers le regard "anticonformiste" de Billie, une femme qui prend le risque d'être différente...

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11 novembre 2015

Chausse-trappes et fausses pistes...

A moins d'être particulièrement bigleux, il n'aura échappé à personne que Jennifer Egan est l'auteur de "Qu'avons-nous fait de nos rêves ? ". Le bandeau sur la couverture est tellement grand qu'il relègue en arrière-plan le titre de ce roman : "Le donjon". Personnellement, j'ai éprouvé une certaine frustration, le mot donjon éveille tant d'images dans l'imaginaire collectif qu'il était possible de réaliser une couverture magnifique. Mis à part ce bémol, j'ai apprécié la lecture de ce livre, qualifié de "roman gothique des temps modernes" dans le résumé. Il réunit effectivement les grands classiques du genre : château médiéval, surnaturel, personnages tourmentés et atmosphère inquiétante. Il va cependant bien au delà.

J'avais été séduite par l'humanité des personnages dans le premier roman de Jennifer Egan. Dans celui-ci, j'ai surtout été conquise par la construction du récit, par la virtuosité de la narration. Les premières pages nous invitent à suivre Danny, un trentenaire new-yorkais, lors de son arrivée nocturne au château que rénove son cousin Holly. Les deux hommes ne se sont plus vus depuis l'enfance, le "sibongarçon" alias Danny est devenu un "loser" assez pathétique, "accro" au téléphone portable, aux amis Facebook, aux contacts virtuels. Holly, l'enfant adopté au physique ingrat qui a mal tourné à l'adolescence, a fait fortune dans la finance et investi son argent dans la transformation du lieu en un hôtel de luxe.

Le château est situé très vaguement dans un pays de l'Est. Il abrite Howie et sa famille, son "second" Mike et un groupe d'étudiants en histoire, main-d'oeuvre bon marché pour les travaux qui ont une connotation "préservation du patrimoine". Danny ignore pourquoi son cousin a désiré l'associer à ce projet. Il pense qu'il ourdit peut-être une vengeance contre lui, pour lui faire payer une "farce" imbécile qui date de leur enfance. Cette "farce" dont Howie a été le dindon a failli lui faire perdre la raison. Le lieu est étrange, labyrinthique, partiellement détruit et envahi par une végétation dense. Ambiance "Château d'Otrante" !

Et soudain, le lecteur se retrouve dans une prison américaine, lors d'un atelier d'écriture. Une frêle jeune femme, Holly, anime celui-ci et n'en mène pas large face à des détenus au passé très chargé. Il semblerait qu'un des participants, Ray, soit l'auteur du début du roman, que Danny et Howie soient nés de son imagination. Les interactions entre élèves à propos des textes qu'ils rédigent montrent toute la puissance de l'écriture, qu'elle soit fictionnelle ou auto-biographique.

La suite de "Donjon" mêle l'histoire qui se déroule au château et séances à l'atelier. Les deux sont intimement liés puisque l'un des prisonniers est celui qui donne vie aux habitants du château. Le vrai, le faux, le réel, la fiction, tout se mêle sans jamais s'emmêler jusqu'à la troisième et dernière partie du roman qui apporte un éclairage nouveau, celui de Holly, l'animatrice de l'atelier.

"Le donjon" est un roman plein de chausse-trappes, de fausses pistes, qui se joue du lecteur pour son plus grand plaisir.

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6 novembre 2015

Fortune de mer

Dans les remerciements à la fin du roman, Jean-Luc Coatalem salue le chanteur Christophe Miossec pour sa chanson "Fortune de mer". Elle l'a accompagné tout au long de la rédaction de ce livre. Avant de débuter ce billet, je l'ai écoutée et puis écoutée de nouveau. Extraite de l'album Finistériens, elle colle à l'écriture de l'auteur. La mélancolie, la folie, la sauvagerie de la pointe Bretagne et de l'île d'Ouessant sont dans la voix et les instruments parfois dissonants de Miossec.

L'histoire démarre pourtant sur le tempo d'une comédie romantique. Le premier narrateur, Robin Lescop, docteur en biologie animale, prend le petit Cessna Caravan qui rallie Brest à Ouessant en compagnie de deux druides qui se rendent sur l'île pour célébrer un mariage à la mode celtique. À bord se trouve aussi une journaliste espagnole, Lucia Parma, qui va couvrir l'événement pour "El Pais". Elle a la grâce d'une danseuse, un chignon en forme de donut et un KW couleur framboise. Lui vient régulièrement sur l'île, il est le représentant d'un groupe franco-suédois de cosmétiques et vient vérifier la qualité du miel sucré et iodé des abeilles noires de Ouessant. Ce nectar rentre dans la fabrication de sérum de beauté.

A leur arrivée à Ouessant, Robin retrouve la pension de famille tenue par Mme Kermarec, veuve d'un officier de la marine marchande. La tranquillité du lieu est à peine troublée par un groupe d'ornithologues japonais. Seule distraction en vue pour la soirée, un concert de Vassili, au bar d'Arlann... Le chanteur, mélange de sang russe et ouessantin, concentre toute la beauté et la violence du lieu.

Dès que les personnages ont posé le pied sur l'île, tout se dérègle. Ouessant, décrite avec force et poésie, semble posséder le coeur des hommes et les inciter au débordement. La belle, la tendre Lucia est sacrifiée sur l'autel de la folie. Le vent, la pluie, les flots déchaînés, l'insularité transforment Robin et Vassili. Leur part animale se réveille, leur esprit ne distingue plus la réalité de la légende et des rêves. Ce bout de terre battu par les intempéries fait facilement basculer la raison des hommes fragiles.

Ce court roman est foisonnant, à la fois réaliste et onirique, drôle et effrayant. Il résume, pour moi, la part d'ombre de "l'âme" bretonne, si bien incarnée par le chanteur Miossec.

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3 octobre 2015

Embarquement pour Porto Vergogna

L'embarquement pour Porto Vergogna ne ressemble en rien à celui pour Cythère ! Ce petit village de pêcheurs de sardines et d'anchois, doté d'un unique hôtel-restaurant qui ne compte que de très rares clients, n'a pas les atouts des ses voisines des Cinq Terres, Portovenere ou Riomaggiore. Le seul fidèle est Alvis qui vient rituellement passer quinze jours chaque printemps pour avancer son roman sur la Seconde Guerre Mondiale. Il s'emploie surtout pendant cette période à aligner les verres sur le comptoir plutôt que les lignes sur le papier.

Nous sommes en 1962, Pasquale Tursi, 21 ans, vient de prendre la tête du minuscule "Hotel adequate view" et se lance dans des travaux dignes de Sisyphe : fortifier la digue existante pour créer une plage et aplanir un terrain pour le transformer en terrain de tennis... Rêves fous qui les habitants observent avec une ironie bienveillante. A croire pourtant que rêver n'est pas vain puisque débarque une jeune actrice américaine, Dee Moray. Elle a quitté précipitamment le tournage de "Cléopâtre" avec Elisabeth Taylor et Richard Burton et une aura de mystère entoure la raison de sa "retraite" dans ce lieu isolé. En fait, sa fuite a été orchestrée par Michael Deane, assistant de production, en fait un "nettoyeur" chargé par la Fox de faire en sorte que le film, devenu un vrai gouffre financier, s'achève dans les plus brefs délais.

Le deuxième chapitre nous transporte de nos jours à Hollywood. L'histoire est à présent racontée par Claire Silver, assistante en chef du vieillissant Michael Deane, qui en est réduit à produire de la télé-réalité bas de gamme. Elle désespère , elle qui "voulait faire des films intelligents et émouvants". La jeune femme envisage de changer de métier quand surgit du passé Pasquale Tursi, à la recherche de l'actrice qui a illuminé brièvement son existence avant de disparaître de celle-ci.

Jess Walter joue avec mestria sur la chronologie, il enchaîne des épisodes allant de la Seconde Guerre Mondiale à notre époque contemporaine pour mieux nous faire appréhender chacun des personnages. Il entremêle le vrai et le faux, nous fait découvrir un Richard Burton, aussi charismatique que destructeur, un milieu du cinéma où les acteurs commencent à devenir des légendes, légendes savamment orchestrées par les productions.

Certains personnages, comme Pasquale ou Dee, sont profondément romanesques, deux papillons de nuit que la lumière a brûlés mais capables de résilience. La fin du roman est un pied de nez au cynisme, au pouvoir corrupteur de l'argent, à l'érosion des corps et des sentiments.

Un roman à la construction d'une grande intelligence, aux multiples personnages qui tous trouvent leur place dans ce puzzle narratif !

Une lecture enthousiasmante !